samedi 21 mars 2009

Pute pride, nouvelles frontières de la lutte


Vendredi 20 mars 2009, au Théâtre de l'Odéon, a été annoncée la création du Syndicat des travailleurs(ses) du sexe (STRASS). Six ans après le vote de la Loi pour la sécurité intérieure (LSI), les travailleurs(ses) du sexe dénoncent les conséquences gravissimes d'une loi injuste, qui a fait reculer les droits humains. Et face aux celles et ceux qui agitent le repoussoir du proxénétisme pour justifier de la LSI, les nouveaux adhérents du STRASS répondent : "nous sommes - et avons toujours été - les mieux placé(e)s pour lutter contre les dérives de la profession. Nous ne sommes pas le problème : nous faisons partie de la solution".
A lire. A méditer.
Texte lu lors de la Conférence de Presse des Assises de la Prostitution le 20 mars 2009, par Miguel Ange GARZO

Nous sommes réunis aujourd'hui dans ce cadre prestigieux pour parler de prostitution et pour obtenir l'application des droits des prostituéEs, comme le droit à exercer la prostitution, qui rappelons-le, n'est pas interdit par la loi en France. Depuis mars 2003, déjà six années se sont écoulées et notre constat reste le même : l'article de loi pénalisant le racolage passif met en danger plus que jamais les prostituéEs.

Nombreux sont ceux qui disent que la prostitution est une violence, une violence faite aux corps, et cela, quelque soit le genre de la personne.

Il existe une forme de violence qui est bien présente, tant sur le bois de Boulogne, que dans les bars, les lieux de prostitution en province, ou encore lorsque le travail sexuel est pratiqué à domicile.

Mais cette violence n'est pas due à la prostitution elle-même, lorsqu'elle est un choix.
Cette violence n'est rien d'autre que le résultat des lois qui criminalisent les prostituéEs :

- Le fait de ne pas pouvoir exercer la prostitution librement dans un lieu choisi.
- Le fait de devoir se cacher par peur d'être embarqué par la police.
- Le fait de devoir se cacher quand on est une personne migrante qui exerce la prostitution, de peur de se faire expulser dans son pays d'origine.
- Le fait de ne pas pouvoir payer son loyer, voire même, de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ces proches.
- Le fait d'être montré du doigt par la police quand on est transgenre, et une fois en garde à vue, mis dans une cellule avec des hommes.
- Le fait de ne pas pouvoir avoir accès aux droits les plus fondamentaux, comme par exemple, le fait de se voir refuser la venue d'un médecin lors d'une garde vue.
- Le fait de devoir accepter dans certains cas, quand il y a peu de travail, un client sans préservatif pour la simple raison qu'il va payer un peu plus à un moment où les dettes s'accumulent, et donc se retrouver en situation de risques sanitaires face au VIH et aux IST.
- Le fait de ne pas avoir accès à une couverture sociale.
- Le fait d'hésiter à prendre des préservatifs de peur qu'ils soient confisqués par les forces de l'ordre, ou par peur qu'ils soient utilisés comme preuve de prostitution.
- Le fait de devoir se rendre invisible aux yeux de la police et des passants, et donc d'être plus sujet aux agressions.
- Le fait de se faire agresser, tabasser, violer et de voir sa demande de dépôt de plainte refusée au titre d'être prostituéEe.
- Le fait d'être taxé de proxénète de soutien, parce qu'on a accueilli unE amiE ou bien prêté le camion dans lequel on travaille.
- Le fait d'entendre le Ministère de l'Intérieur dire et affirmer que les prostituéEs sont des délinquantEs et rien que des délinquantEs.
- Le fait d'être confronté au silence et au désengagement du Ministère de la Santé quant à la question de la Santé des prostituéEs, alors que durant la Conférence Mondiale sur le Sida en août dernier à Mexico, le communiqué de Madame Bachelot et Monsieur Kouchner disait, je cite :

« Pour être efficace, la lutte contre le Sida, implique aussi de porter une attention particulière aux populations en situation de vulnérabilité et à celles les plus exposées à l'infection : populations en situation de pauvreté, populations migrantes, minorités sexuelles, usagers de drogues intraveineuses, travailleurs du sexe, populations carcérales, jeunes et enfants. »

Donc oui, la violence est réelle dans le cadre de l'exercice de la prostitution, mais ce n'est pas la prostitution qui la génère, mais bien les lois qui réduisent les prostituéEs à de simples délinquantEs.

Nous, prostituéEs, associations de santé communautaire, associations de lutte contre le Sida, continuerons à nous battre contre cette violence faite aux prostituéEs et à dénoncer les dérives sécuritaires qui ont, et qui mettent encore aujourd'hui en danger, l'intégrité des prostituéEs.

Puisque les prostituéEs sont assimiléEs à des délinquantEs, et bien nous, associations de santé communautaires et associations de lutte contre le Sida, continuerons plus que jamais à soutenir ces dites, délinquantEs.

Les prostituéEs ne sont pas le problème : elles font partie de la solution.

Bravo au photographe François Lafite pour ses photos.

jeudi 19 mars 2009

Crime contre l'humanité


On pourrait en rire tellement c’est énorme. Se gausser. Se gaver de bons jeux de mots en rapport avec les bulles papales, les capotes de la papamobile, le temps mis à reconnaître que la Terre est ronde… Continuer d’ignorer ce vieux monsieur décalé habillé comme un pantin qui se fait faire le baisemain en descendant de l’avion. Aller jusqu’à penser qu’il ferait mieux de se faire mettre dans la backroom d’un club du Marais.

Mais ce n’est pas drôle. « On ne peut pas régler le problème du sida avec la distribution de préservatifs. Au contraire, leur distribution aggrave le problème », a tranché Benoît XVI. Cet idéologue ultraconservateur, chef d’Etat et chef de l’Eglise catholique, se rend sur le continent africain ravagé par la pandémie du sida en semant la mort.

Deux solutions pour une militante politique comme moi :
- militer au sein de l’organisation félone, y organiser l’opposition, et en prendre le pouvoir pour changer son dirigeant. Petit problème : il faut être catholique (je suis baptisée certes) convaincue (c’est plus compliqué). Et de sexe masculin, puisque les amis du pape sont aussi machistes que ceux de Ben Laden. On oublie. Tout en saluant celles et ceux qui, catholiques pratiquants, font entendre leur voix pour condamner les propos de Benoît XVI ;

- Proposer un autre modèle de société, donner envie d’une autre transcendance. Soutenir partout dans le monde celles et ceux qui combattent l’obscurantisme, qui préfèrent la connaissance et la tolérance à l’oppression des ténèbres, l’éducation des filles. Celles et ceux qui disent non, premier acte de « l’homme révolté », c’est-à-dire libre.

Et parce que la résistance commence en bas de chez soi, au quotidien, commençons par marcher, aujourd’hui jeudi 19 mars 2009 de la République à la Nation à Paris, sur les boulevards à Toulouse, du Vieux-Port à Castellane à Marseille, etc.

Un autre monde est possible, soyons-en convaincus. Construisons-le ensemble.

vendredi 13 mars 2009

Retour sur une journée des femmes.


8 mars 2009.

L’occasion de découvrir les statistiques annuelles navrantes sur les violences faites aux femmes dans les rapports conjugaux, les disparités salariales et la précarité dans l’emploi, la représentation politique nationale.
L’occasion de subir les sarcasmes des détracteurs de ce genre de « journée de la bonne femme », au mieux inutile au pire contre-productive.

Tout devait donc être le moment pour faire mentir les pessimistes et les grincheux.
Dans le 20e, au Carré de Baudoin, il fallait que ce soit à la fois festif : une fanfare.
Mobilisateur : un théâtre-forum autour des violences conjugales.
Un plaisir artistique : la lecture de Fin de l’Histoire, un texte de François Bégaudeau par l’auteur et la metteure en scène Cécile Backès.
Ce devait être aussi un moment d’échanges d’idées et d’arguments.
Quand on a préparé cette journée avec Ariane Calvo, maire-adjointe à l’égalité femmes-hommes et à la petite enfance (comme quoi le nombre de places en crèche a un rapport avec l’égalité réelle) et transfuge du PS vers le PG, l’idée s’est imposé de débattre de la question du féminisme. Pour des femmes responsables politiques, travailleuses, mamans, bref la tête dans le guidon 364 jours par an, il n’est pas trop d’une journée pour fourbir nos arguments et prendre un peu de recul sur nos luttes féministes.
C’est un intellectuel, un féministe, un homme donc – parfois ça peut servir- François Bégaudeau, qui nous a fait découvrir l’ouvrage collectif de Joy Sorman, Stéphanie Vincent, Gaëlle Bantegnie et Yamina Benhamed Daho.

Quatre jeunes femmes. Jeunes, genre trentenaires intelligentes et libérées.
Pas responsables associatives, ni politiques. Pas sectaires ni caricaturales. Mais combattives assurément.
Pas farouches, ni pour débattre ni pour lever les tabous.
Quatre femmes pour « 14 femmes, Pour un féminisme pragmatique », publié chez Gallimard. 14 portraits de femmes, anonymes ou célèbres, féministes ou pas. Pêle-mêle une actrice porno, une femme de ménage, une arbitre internationale de foot, une ancienne ministre, une poétesse… Et chaque fois ce souci d’interroger le réel.

Tout était réuni pour qu’en sorte en un peu plus d’une heure de débat une intelligence collective et une motivation.

C’était sans compter la fatigue et le stress de l’animatrice du débat, achevée après des semaines de débats stériles au PS, de combats du quotidien entre les couches, les baby-sitters, les réunions, le boulot, et les comportements agressifs et destructeurs de quelques connards officiellement de gauche : votre serviteure. Qui a eu tendance à plomber le débat dès la première phrase.

Sans compter non plus sur l’agressivité impolie et déplacée de quelques folles furieuses gardiennes du temple de la féminité et du féminisme, qu’elles disent. Coupant la parole, squattant le micro, enfermant le débat dans un combat de catch féminin. Merci mesdames, vous nous avez aidées sur ce coup-là.
A élever le débat.
A comprendre pourquoi en 2009 une femme meurt encore tous les trois jours sous les coups de son compagnon, pourquoi une femme ministre de la République trouve courageux de reprendre le travail cinq jours après une césarienne, pourquoi les petites filles de 9 ans rêvent encore au prince charmant.

Parce que c’est ça le débat : comment être féministe aujourd’hui sans être moralisateur ?

Comment libérer les hommes et les femmes qui aspirent à faire de la politique de leurs carcans de pensée rigide et stérile.

Commençons donc par lire, ça rend moins obtus, moins con.
Parfois ça rend même plus intelligent. Mais ça ne marche pas à tous les coups.
Pour preuve, votre serviteure.


A lire :14 femmes. Pour un féminisme pragmatique. Ed.Gallimard.
Joy Sorman, Stéphanie Vincent, Gaëlle Bantegnie, Yamina Benhamed Daho§

jeudi 12 mars 2009

Une autre école est possible!

Nous subissons, depuis la mise en place du gouvernement Sarkozy et la nomination de Xavier Darcos à la tête du Ministère de l’Education Nationale, des attaques sans précédent de l’institution scolaire. Nous ne pouvons y assister impuissants, et espérer transformer la société une fois revenus au pouvoir sans disposer de l’outil essentiel pour le faire : l’école.

Avec le vote du budget pour 2009, ce sont 13 500 postes d’enseignants qui sont supprimés, dont 3000 spécialisés parmi les 6 000 supprimés dans le premier degré- alors que 15 300 élèves supplémentaires seront accueillis à la rentrée 2010.

Les nouveaux programmes scolaires applicables depuis la rentrée 2009 sont rétrogrades, et la défiance envers les enseignants se traduit par une remise en cause de la liberté pédagogique et une répression incroyable des « objecteurs pédagogiques », ces enseignants et inspecteurs du premier degré qui tentent de résister.

Dans l’enseignement supérieur, la loi LRU a placé les universités en situation d’autonomie et donc de soumission aux financements privés. Plus récemment encore, Valérie Pécresse remet en cause le statut d’enseignant-chercheur, et la réforme du recrutement et de la formation des enseignants aboutit à une suppression du caractère national des diplômes (mastérisation). La suppression des IUFM c'est-à-dire de la garantie d’une formation professionnelle adossée à la recherche universitaire, met fin à la possibilité de recruter dans tous les milieux et les origines professionnelles, et de former une nouvelle génération d’enseignants qui devait remplacer celle du baby-boom qui part à la retraite.

Ajoutons à ce tableau noir la baisse de 25% des subventions aux associations complémentaires de l’éducation nationale type CEMEA ou Ligue de l’Enseignement, et la mise en place du Service Minimum d’Accueil qui laisse croire que l’école est une garderie, et c’est l’ensemble du projet d’Education Nationale qui est sapé dans ses fondements.

Face à ces attaques, les enseignants, les chercheurs, les étudiants, les lycéens, les parents d’élèves, les élus de gauche organisent des mouvements de grève et de contestation d’ampleur nationale, très suivis et très organisés, qui n’ont pour le moment que très peu de victoires à leur actif, à peine quelques reculades ministérielles...

Et pourtant le gouvernement Sarkozy continue d’écraser de son rouleau compresseur un système d’enseignement à bout de souffle. Au prétexte de réformer une institution dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elle a besoin de changer, la droite au gouvernement est en train de détruire durablement les fondations de l’école de la République. Et malgré toutes les réticences, dans la rue, dans les collectivités locales et au Parlement, la machine semble rouler sur un boulevard.

A force de résister sans jamais proposer, la gauche semble avoir abandonné le combat fondateur de son émancipation. Le Parti Socialiste doit renouer avec son école, refonder un pacte républicain, redonner une ambition d’avenir à sa jeunesse. Il faut comprendre la raison de notre échec en matière de politique scolaire, et, sans tabou, proposer une réforme de l’école pour qu’elle soit enfin l’instrument de la réussite de toutes et tous.

1) Un constat qui peut être partagé par tous.

Le constat de l’échec de l’école sur lequel s’appuie Darcos pour décider de ces nouvelles mesures peut être partagé: 12% d’illettrés à l’entrée de la classe de sixième, 50% d’échec dans les deux premières années de supérieur, inégalités territoriales, ghettos scolaires...

On peut même honnêtement aller plus loin. L’école de la République que nous défendons toutes et tous à grands slogans criés dans les manifestations est à bout de souffle. Toutes les récentes études sociologiques montrent que non seulement l’école publique n’a pas su se démocratiser à l’occasion de sa massification et qu’elle reproduit les inégalités sociales, mais qu’elle creuse ces mêmes inégalités sans qu’aucune remise en cause sérieuse du système n’ait pu être portée par les politiques publiques.

En effet, quand on se bat contre la suppression des RASED (Réseaux d’Aide Spécialisés pour les Elèves en Difficultés) on fait semblant d’oublier ce que les chercheurs ont prouvé et que les enseignants eux-mêmes savent : les « bons » élèves qui restent dans la classe progressent plus vite que les élèves en difficulté pris en charge hors de la classe en petit groupe par les enseignants spécialisés.

Quand on évoque l’assouplissement de la sectorisation appelée de façon erronée la « carte scolaire » c’est oublier, ou faire semblant, que les vraies stratégies d’évitement des « mauvais » établissement se jouent dans le lieu d’habitation et que les enseignants ne font pas le même métier dans un CP du 16ème arrondissement de Paris que dans les quartiers nord de Marseille. Et que ces mêmes enseignants sont les premiers à mettre leurs enfants dans le privé.

Quand on défile aux côtés des lycéens contre la « réforme » précipitée de la classe de seconde, on oublie l’orientation précoce et subie des classes populaires dès l’âge de 12 ou 13 ans au collège.

Quand on enrage contre les jeunes brûleurs de bibliothèque ou d’école maternelle lors des émeutes dans les banlieues fin 2005 on oublie que toutes les politiques scolaires ont laissé de côté des pans entiers de notre jeunesse, celle de nos quartiers pour qui la scolarité est une souffrance et n’offre aucun avenir.

2) Une fois ce constat posé, deux logiques s’affrontent.

A droite, les tenants du libéralisme idéologique, tendance née dans les années 80 outre-atlantique, développent la théorie de la vertu d’une mise en concurrence des systèmes et des individus, en particulier dans le système scolaire. Les Chiliens et les Britanniques ont réformé leur système dans ce sens par exemple. En France, au nom de la méritocratie libérale, la raison de l’échec des élèves est rejetée non sur un système économique qui discriminerait en fonction de ses origines sociales ou géographiques mais sur le professeur, l’enfant, la famille. L’illettrisme serait un échec individuel, que le péremptoire « égalité des chances » sarkozyste pourrait éradiquer.

Dans le même sens, il faut mesurer la dangerosité des nouvelles évaluations nationales dans les classes de CE1 et CM2. Inadaptées aux programmes de 2002, vouées à être rendues publiques, elles visent directement à préparer l’assouplissement puis la disparition de la sectorisation scolaire déjà initiée dans le secondaire.

La droite a mieux qu’ailleurs gagné le terrain de la bataille idéologique. Elle a réussi à rendre banale l’adéquation des formations initiales et professionnelles aux exigences du marché, à faire croire à la fainéantise scandaleuse de ces fonctionnaires qui ont cinq mois de vacances et un mois de grève par an, à réhabiliter les « leçons de morale » à l’école contre le défaut d’autorité hérité de mai 68 incarné par le François Bégaudeau d’Entre les murs

On peut citer deux exemples de l’argumentation fallacieuse de la droite, qui montrent qu’elle a engagé la bataille idéologique et est en passe de la gagner si nous n’y répondons pas.

Premier exemple : le Ministère de l’Education Nationale a opportunément publié la comparaison des résultats obtenus, en 1988 et en 2008 par les élèves de CM2 à une dictée et des exercices de mathématiques. Médiatisés au 20h de France 2 fin janvier 2009, ces résultats tendent à montrer la baisse considérable de la réussite par les élèves pour le même exercice à vingt ans d’écart. Le bon sens et l’honnêteté intellectuelle nous imposerait de nous plier à cette évidence : malgré les milliards d’euros dépensés dans l’éducation, les élèves régressent, inexorablement. Alain Bentolila a même été appelé en renfort pour donner une caution scientifique à ce qui pourrait passer pour de la propagande élyséenne. Poussant la réflexion un peu, on se demandera si les élèves de 1988 étaient capables de maîtriser l’informatique, internet, ou connaissaient le nom du président des Etats-Unis. Mais au fond, la vraie question que les pédagogues se posent est la suivante : la dictée et le problème de maths sont-ils pertinents pour apprécier le niveau de compétences et de connaissances d’une génération ? Et la question que devrait se poser la gauche qui aspire à gouverner : jusqu’à quand va-t-on accepter de sacrifier des générations d’élèves sur l’autel de la compétition, de la notation absurde sur 20, au nom de l’esprit d’émulation cher au marché, concentré dans la formule de « la méritocratie républicaine », qui guillotine plus efficacement que pendant la Terreur ?

Deuxième exemple : le rapport des sénateurs Papon et Martin sur la scolarisation des jeunes enfants. A l’origine de la polémique sur l’utilité de la solarisation des enfants de moins de trois ans et des inquiétudes de la communauté scolaire quant aux annonces de créations de jardins d’éveil municipaux payants, les conclusions des sénateurs UMP se fondent sur une vérité partagée par tous : les conditions d’accueil des moins de trois ans à l’école telle qu’il se fait actuellement en maternelle dans des classes de 25 à 30 élèves se sont pas optimales. Eric Maurin lui-même dans « La nouvelle question scolaire » le reconnaît : « Notre évaluation souligne simplement que, tel qu’il est organisé aujourd’hui, l’accueil anticipé des tout-petits n’a pas d’effets particulièrement bénéfiques pour eux ». Mais une fois encore les vraies questions ne sont pas posées, soit parce que le Ministère de l’Education Nationale refuse de les poser, soit parce que les chercheurs ne disposent pas des mesures objectives nécessaires aux conclusions éclairantes. Quels sont les enfants qui sont scolarisés tôt ? Les enfants des classes favorisés et filles et fils d’enseignants ou ceux des classes populaires défavorisées ? Comment établir un diagnostic fiable dans les conditions actuelles d’accueil dans les écoles ? Quelle formation complémentaire les enseignants de ces classes particulières ont-ils reçu ? Qu’y a-t-il de différent entre le métier de professeur des écoles en maternelle et d’éducateur de jeunes enfants en crèche collective et en jardin d’enfant ? Au fond, quels sont les objectifs de l’école maternelle ? La gauche devrait défendre deux aspects fondamentaux de la scolarisation des tout-petits : d’une part la possibilité d’un mode de garde gratuit qui permet le travail des femmes, et d’autre part la socialisation dans un univers affectif et matériel adapté à leur âge d’enfants qui acquièrent tôt le langage et découvrent la connaissance.

L’autre parole, du moins celle qui s’organise pour la défense de l’école publique, taxée de conservatisme par la droite, est celle de la gauche syndicale.

Cette gauche syndicale tente de résister aux coups de boutoir et peine à défendre un système évidemment en faillite, sans parvenir à remettre en cause massivement et globalement des méthodes d’apprentissage, et à proposer une autre école. La bataille pour maintenir des petits effectifs en CP et dans les ZEP, la défense du statut des enseignants, le refus de la diminution d’heures de cours en élémentaire sont autant de combats justes.

Mais, il faut bien le reconnaître : nos élèves évoluent, de la maternelle à l’université dans monde d’enseignants blancs, apprennent dans des manuels scolaires déconnectés de la recherche universitaire, se retrouvent peu dans l’idéal républicain qui fait abstraction de la question identitaire et de la post colonisation. Ce système reproduit structurellement le modèle de domination masculine : le féminisme s’est arrêté aux portes de l’école - maîtres de CM2 qu’on appelle par leur nom contre institutrices de maternelle qu’on nomme par leur prénom, directeurs et inspecteurs hommes, jeux de filles contre sports de garçons, éviction de l’éducation à la sexualité, etc

Pire : les innovations pédagogiques style Vitruve à Paris ou le lycée expérimental de Saint Nazaire… restent des expériences à l’écart des diffusions officielles et qui se contentent de leur statut à part. A défaut de moyens conséquents alloués, elles accueillent les enfants d’artistes avides d’offrir une vraie enfance à leur progéniture et une éducation qui les préserve du système.

Parce qu’ils se battent au nom des principes de laïcité et défenseurs de la République universelle, les défenseurs de l’école ont besoin des parents, de la démocratie scolaire, du monde associatif, et ont besoin de s’appuyer sur les toutes nouvelles formes d’organisation en réseaux du type RESF ou listes de diffusion et de débats internes qui sont aujourd’hui à la pointe des mobilisations de parents contre Darcos. En restant aux vieux schémas de la gauche politique et syndicale en lutte contre les anarcho-autonomes, les fédérations de parents d’élèves et les centrales syndicales et le PS ont tendance à se sentir débordées par des mouvements qui échappent à leur pouvoir de contestation ou de cogestion. Et pourtant l’enjeu est de taille.

Philippe Mérieu le rappelait lors d’un colloque sur l’école maternelle le 31 janvier dernier : « Nous n’avons pas su démocratiquement identifier les valeurs qui fassent tenir ensemble des collectifs autrement que par la rivalité et la lutte pour le pouvoir »

Dans « L’insurrection qui vient », les auteurs sont plus radicaux encore :

« La castration scolaire débite à flux tendu des générations d’employés policés ».

Nous, socialistes, devons identifier les raisons de l’échec des politiques publiques: la massification de l’enseignement, du primaire au supérieur s’est faite sans démocratisation. L’école est inadaptée à la société française, à notre monde économique en crise, dans lequel un salarié est amené à changer plusieurs fois de métiers au cours de sa vie de travailleur. Les nouvelles technologies ont muté dix fois plus vite que le système scolaire. Aucune politique scolaire ne s’est fondée sur une remise en cause pédagogique d’ampleur, et la droite au pouvoir depuis trois présidences n’a jamais ouvert aucun débat national sur l’école. Or c’est pourtant à notre école primaire en particulier qu’on demande d’être un pilier de la République alors qu’aucun moyen supplémentaire ne lui est donné, que ce soit en postes d’enseignement ou en postes d’accompagnement social, de médecine scolaire, et de psychiatrie infantile.

A ce titre, il convient aussi de s’inquiéter du développement du traitement des troubles cognitifs par la camisole chimique appelée « ritaline », véritable drogue prescrite par de trop nombreux pédopsychiatres qui considèrent que les difficultés d’apprentissage sont à traiter médicalement avant d’entamer une thérapie individuelle ou familiale, évacuant ainsi les origines sociales et économiques du problème d’un enfant.

3) Quelle nouvelle école à construire ?

Nous ne pouvons continuer de défendre une sacro-sainte école de la République, celle de Jules Ferry, « dont le seul nom, comme l’écrivent les auteurs du Comité invisible dans L’insurrection qui vient, ministre de Thiers durant l’écrasement de la Commune et théoricien de la colonisation, devait pourtant suffire à nous rendre suspecte cette institution. »

La construction d’une nouvelle école est le véritable enjeu de notre démocratie pour notre jeunesse.

Il nous faut cesser d’opposer « l’instruction » à « l’éducation »c'est-à-dire le savoir noble à la vulgarité du savoir vivre. La question pédagogique ne se résume pas à une simple opposition entre les tenants de l’apprentissage de lecture par la méthode syllabique contre ceux de la méthode globale par exemple, ni même de la leçon de morale au projet d’éducation à la citoyenneté.

Décider ce qu’on apprend à l’école, et comment on l’apprend, n’est pas une simple question pédagogique. C’est une question politique.

Les conditions d’apprentissage de la lecture des maths des règles de vie en société déterminent le rapport aux autres, la conception de la société dans ses valeurs de solidarité, de laïcité, de réussite sociale, d’égalité sexuelle et identitaire, d’épanouissement individuel…

Eric Maurin l’écrit dans La nouvelle question scolaire (Seuil) : « Dans la manière d’apprendre à lire, à écrire ou à compter, se dessine un rapport aux autres et à soi- même, et partant une certaine disposition ou une certaine aptitude au bonheur ».

Les chercheurs en sciences de l’éducation, qui proposent de changer le système pour le rendre réellement démocratique et progressiste sont trop nombreux pour que l’on ne s’appuie pas sur eux pour proposer autre chose. Leurs débats ne doivent pas rester ceux de spécialistes : les militants politiques doivent s’approprier ces enjeux pour élaborer un projet, proposer un programme.

Définissons les objectifs.

Faire sauter le carcan de la reproduction sociale et des élites. Forger une école qui doit donner à chacune et chacun la possibilité de tout faire, ce qui veut dire déjà que chaque élève doit imaginer qu’il peut être pompier, président de la République, artiste, prof, ou ébéniste et homosexuel. C’est triste mais bien réel : la star ac’ ou les émissions de téléréalité ont fait sauter les barrières mentales, et si elles ont autant de succès c’est que chaque gamin dans la cour de récréation veut croire qu’il peut devenir riche et célèbre par un talent individuel. L’école doit apporter l’idée que le bonheur se trouve ailleurs que dans la surconsommation de biens matériels, et permettre un réel épanouissement.

La présence d’Harry Roselmack au 20h de TF1 a fait plus progresser par le symbole la cause des Noirs que toutes les formules incantatoires du PS, la récente élection d’Obama à la présidence des Etats-Unis fait croire que tout est possible. Les symboles ne font pas tout, mais quand la République dans toute sa diversité s’incarnera aussi dans ses enseignants, nous aurons fait un grand pas.

L’école de la République doit être ce sas de dix ans dans la vie de chaque jeune de France pour acquérir les outils de l’émancipation individuelle et collective.

Explorons alors les pistes de réformes suivantes :

- Recrutement et formation des enseignants : en conservant les IUFM, permettre un recrutement le plus large possible donc le plus ouvert sur toutes les expériences du monde économique et associatif, à l’image de la diversité de notre pays. Exactement l’inverse de la mastérisation de la filière de recrutement mise en place par Darcos, revenir au recrutement à bac+3 avec une année de formation à l’IUFM et une année de stage avant la titularisation pour les enseignants du primaire.

- Revalorisation substantielle de la carrière des enseignants en termes de rémunération et de mobilité professionnelle

- Réfléchir à un rapprochement des formations professionnelle et continue des enseignants du primaire et du secondaire pour permettre une porosité intellectuelle et professionnelle Cela pourra permettre de renforcer la polyvalence des enseignants du primaire et le travail en équipe autour de projets dans le secondaire.

- Revaloriser l’école maternelle : y nommer des enseignants qualifiés, pourquoi pas spécialisés (cf pédiatres qui font plus d’études que les médecins généralistes) développer sur tout le territoire la scolarisation dès deux ans dans les ZEP dans des classes à 16 enfants au plus, en privilégiant le suivi des familles : alphabétisation, groupes de parole pour les parents, les réseaux d’aide.

- Ouvrir l’Ecole aux questions de société : il faut intégrer dans la formation initiale et professionnelle continue les questions de genre et d’ethnosociologie.

- encourager les formes d’éducation mutuelle et coopérative

- lancer une grande réforme du collège.

- réformer les rythmes scolaires.

- accorder le soutien de l’Etat aux collectivités locales pour intégrer dans les activités péri et extra scolaires des élèves, dès l’école maternelle, la découverte des arts et la pratique artistique et sportive (avec nécessité de mise en réseau dans les zones rurales), discrimination positive ZEP et communes pauvres

- doubler les moyens des ZEP et Zones sensibles, penser sans tabou la création dans ces zones de filières d’excellence (type Classe à Horaires Aménagés artistiques, sportives…)

- associer tous les parents à la réussite de leur enfant à l’école, trouver les solutions pour faire entrer les parents dans l’école tout en conservant la liberté pédagogique des enseignants.

- Prolonger la scolarité des jeunes de plus de 16 ans des milieux défavorisés en développant les Ecoles de la deuxième chance structures souples à projet diplômant, qualifiant et professionnel

- En développant le système des bourses et en créant l’allocation d’études dans le supérieur, aider à briser le déterminisme sociologique qui exclut les enfants des classes populaires des formations hautement qualifiantes.

Pour conclure :

Seule une réforme d’ampleur de l’Ecole, de la maternelle à l’Université, permettra d’éradiquer, à moyen et long terme certes, les discriminations subies par les enfants des cités et des classes populaires. Seule une réforme ambitieuse de notre système éducatif nous permettra de transformer dans l’avenir notre société, pour qu’elle devienne, égalitaire et juste.

Pour ce faire, la gauche doit proposer un débat national sur l’école qui devrait prendre la forme d’un grand forum de démocratie participative, déconcentré sur tous les territoires. Briser ses propres carcans de pensée, qui ont vécu. Et se donner d’autres outils, pour un nouveau projet.

Et pour cela, ne pas attendre 2012. Le débat pour une autre Ecole doit avoir lieu maintenant, avec tous les acteurs mobilisés.

Espoir à gauche Espoir à gauche Paris 20eme Café pédagogique